samedi 6 mai 2017

DEAN: Le prince du R&B 2.0

Alors que la K-pop ne cesse de puiser dans la pop, le rap et la musique américaine, les nouvelles générations se démarquent par des démarches artistiques singulières qui prouvent que l'industrie de la musique coréenne est également porteuse de nouveautés autant que de qualités. La nouvelle génération de musiciens et d'artistes nées dans les années 90 dominent aujourd'hui les charts coréennes. Il est donc normal qu'à l'aune de ses différentes composantes, l'une des nouvelles grandes figures du R&B mondial soit coréenne. Et ce visage du renouveau, c'est DEAN. Le R&B tel que nous le connaissons aujourd'hui s'est popularisé dans les années 90 et au début des années 2000 autant à travers des œuvres particulière qu'à travers la vulgarisation du genre par des Boys Band. Aujourd'hui c'est majoritairement l'apanage des artistes pop entre une ballade et un son EDM comme Ariana Grande, même s'il existe des artistes R&B comme Yuna qui ont un succès moindre. C'est également le cas en Corée du Sud. DEAN est donc à la fois dans une lignée coréenne et américaine, mais comme beaucoup d'artistes de sa génération, la culture d'internet a aboli ses frontières. DEAN est l'un des  membres éminents de la scène R&B coréenne, donc mondiale.


A l'origine Kwon Hyuk n'est pas issue d'une grande agence ni d'un quelconque programme d'idols comme c'est le cas pour beaucoup de chanteurs coréens, malgré son physique. Il raconte qu'il n'était pas vraiment passionné par la musique ou par quoique ce soit de particulier, jusqu'à ce qu'il découvre des musiciens américains au lycée. Il tombe alors dans la musique, et comprend que même s'il n'est pas doté d'une voix hors-norme ou de l'entrainement spartiate des wanna-be Idol, il pourrait s'adonner à sa passion en maîtrisant la technique. Il apprend en autodidacte en imitant les chanteurs US, ou en développant sa technique et ses connaissances sur internet. Fort de ses nouvelles capacités, il se lance dans des projets de hip-hop underground aux USA. Il pense que sa musique aura surtout du succès en Amérique du Nord. Mais après avoir produit des chansons et fait des collaborations, il comprend que l'industrie américaine n'est pas prête à accepter un coréen, peu importe ses qualités ou son travail. Il revient en Corée du Sud et tape dans l’œil des plus grandes agences en tant que producteur.

 En 2013 (à 21 ans), il produit les albums du groupe qui bat tous les records , EXO.   La même année, il produit également un autre boys band qui est lui aussi un phénomène, VIXX. Puis il va également travailler sur les albums d'autres stars/groupes dans différents genre comme John Park ou HISTORY. Il se fait une place dans l'industrie et surtout un nom. Alors qu'il n'a pas encore sortie de sons, Kwon Hyuk est déjà une valeur sure de l'industrie. 2015. Tout bascule le producteur, compositeur et parolier de talent s'avère être un chanteur.  Et un bon.


Le single n'est pas un carton, mais il montre clairement les ambitions du chanteur coréen. Il chante en anglais et fait un featuring avec un autre talent qui est dans le meme cas que lui aux USA, Eric Bellinger. Kwon Hyuk qui est désormais DEAN (en référence à James Dean) n'est pas intéressé par le public coréen, puisqu'il a passé a 2 ans à écrire et composer la musique qui intéresse justement ce public. Il est persuadé que son style et son esthétique ne sont pas pour le grand public coréen. Il persiste et signe avec son second single, Put My Hands On You. Cette fois, on apprend que DEAN n'est pas non plus dans les tendances coréennes, mais plus dans un mouvement global, plus dans le mouvement d'une génération. L'esthétique n'est pas sans rappelée celle des artistes underground des années 2010, entre chillwave, vaporwave, cloud rap, seapunk et "sad boy". Ces mouvements sont des esthétiques nées d'internet, il y a une musique, des vêtements, des codes qui régissent ces cultures alternatives qui se diffusent sur tumblr, instagram et youtube. DEAN s'inscrit dans cette vague car il travaille également son apparence pour suivre ces visions. D'ailleurs, il se place en pionnier coréen dans le genre "Soul-trap", qui est simplement la version contemporaine du R&B . Il est entre Usher et Yung Lean aussi bien dans sa musique que dans la forme qu'il lui donne. En ce sens, il va au-delà des tendances coréennes, ou du moins s'inscrit dans une vague avant-gardiste qui commence à dominer la scène rap et r&b mondiale aujourd'hui. Dans ce geste de pionnier, ils fondent avec d'autres membres de la scène underground coréenne, le collectif, Club Eskimo. Il contient plusieurs membres, dont des producteurs, des rappeurs, des DJ dont les deux membres les plus célèbres (en dehors de DEAN) sont Offonoff  et CRUSH. Meme si les membres sont coréens et vivent en Corée, le groupe fait souvent des concerts aux USA ou au Canada, là ou se situe son public, du moins celui qu'ils visent.



DEAN continue son travail de producteur de l'ombre jusqu'à l'album SEOULITE de Lee Hi. 2016. DEAN sort également son premier album qui résonne comme une bombe aussi bien dans la K-pop que dans le Hip-hop coréen. 130 Mood: TRBL (en référence à la voiture de James Dean) pousse la logique esthétique de son auteur à son paroxysme. L'album est conçu comme un film qui commencerait par la fin. DEAN sait que pour se différencier une belle voix ou un beau visage ne suffisent pas dans un pays qui en a des nouveaux chaque semaine, il tente de proposer une expérience à ses auditeurs. Alors qu'il est nourri par la musique, DEAN révèle que ses inspirations viennent du cinéma, et qu'il ne pense la musique qu'à travers des images et des scènes de cinéma. Le jeune homme qui maîtrise la technique peut se permettre une telle ambition pour son premier album puisque seul son imagination est sa limite dans un pays qui ne le connait pas encore.  DEAN va donc s'amuser à créer des morceaux complexes aussi bien musicalement que thématiquement et bien sur les accompagner d'une imagerie tout aussi soignée à travers des clips aussi fascinant que beaux.
L'histoire de l'album est celle d'un jeune homme qui rencontre une jeune femme avant de se lancer dans une vie de outlaw qui mènera à la perte de cette dernière. Ils racontent les différentes étapes de cette fuite amoureuse (un peu comme Roland Barthes des fois, mais avec de la musique). Il est donc normal que l'un des titres clés soit "Bonne & Clyde".



Dans l'album, Bonnie & Clyde est la 3ème chanson, celle qui annonce la fin du couple. DEAN offre un clip mystérieux ou il joue avec les fantasmes, la réalité, le désir. Bien sur, il assume les références, et le coté cryptique qu'il prend du coté de la Nouvelle Vague française. [Clip en VOSTFR]
Comme pour d'autres artistes de sa génération, le jeune coréen n'hésite pas à faire des citations ou des références cryptiques à des films d'auteurs, des peintres ou des écrivains. Le propre des mouvements qui sont nées sur internet à la fin des 2000s, c'est juste d'avoir aboli toute sorte de hiérarchisation dans la culture et l'art, on parle de Britney Spears comme on parlerait d'un film de John Waters, puisque tout est accessible, parlons de tout.

L'autre grande chanson et clip de l'album selon moi serait également What 2 Do.


Le clip refait clairement des scènes de "Love Letter" de Shunji Iwai, et la chanson porte justement sur le désarroi amoureux, la distance [VOSTFR]. C'est la chanson qui vient après "Bonnie & Clyde", c'est donc celle du doute avant la fin. L'art de DEAN est dans ce morceau ou tout est épuré, tout est cohérent. A l'instar, d'un film de Shunji Iwai. Les voix s'accordent et se ressemblent mais ne chantent pas la même chose, pas de la même manière. En Corée du Sud, la chanson marque par la prononciation très travaillée de certaines expressions qui donnent un surplus poétique que n'a pas manqué de noter le public coréen. DEAN travaille sur les détails, les ambiances, les formes. Après tout, il n'a pas de problème avec le reste.

Mais la chanson qui le fait connaitre auprès du grand public coréen et qui lui fait conquérir aussi bien le cœur des jeunes que les hautes places des charts, c'est D(Half Moon).

Entre la douce mélodie, la production chirurgicale et la voix claire du bonhomme qui déclame son errance amoureuse, il fait la différence. Encore une fois, DEAN brille par sa logique conceptuelle et son sens des formes. Le D, n'est que la moitié d'un rond qui serait leur amour, la lune. La chanson oscille entre la ballade et le R&B, avec des parties chantées, des parties presque parlées et du rap. Le génie de DEAN réside dans la maîtrise qu'il applique à créer une symbiose, un voyage à travers ces différents éléments. Les cover pleuvent sur youtube et les autres stars aussi bien de ballade/folk coréenne que de la pop n'hésite pas à reprendre le morceau. C'est la consécration.


Il enchaîne les featuring, collaborations et productions durant l'année 2016. Il aide une nouvelle venue à se faire un nom, Heize. Il collabore avec la superstar issue d'un des plus célèbres Girls Band, Taeyeon. Il produit et aide son ami ZICO, sur le grand retour de son groupe, BLOCK B. A la Kcon de Los Angeles, il y a même une vidéo de remerciements de stars de K-pop, alors que le grand public ne connait son visage que depuis 6 mois à peine.  DEAN est au sommet en Corée du Sud, et le revendique à travers le morceau d'ego trip, Bermuda Triangle avec ses comparses, CRUSH et ZICO. Une sorte de triangle du succès, ou tout ce qu'ils touchent devient de l'or. Les trois jeunes hommes nées dans les années 90 se rendent compte qu'ils dominent l'industrie musicale par leur production et leur musique, dans la pur tradition urbaine, ils le revendiquent fièrement.

Aujourd'hui DEAN continue ses productions et ses collaborations en Corée. Mais il a surtout repris son rêve américain en donnant des concerts à travers les grandes villes américaines et au Canada. Il n'appartient toujours pas à une grande agence coréenne et organise des tournées underground alors même que sa musique résonne dans les tètes des jeunes coréens. Il s'épanouit en live, et tente de partager sa musique directement, le live est important dans la K-pop car il donne à ressentir l'émotion véritable et surtout il dévoile les capacités réelles (la Corée du Sud est compétitive jusque dans les émissions de musique, surtout dans les émissions de musique), le live fait et défait les carrières. Il continue ses expérimentations et sa musique dans son coin, tout en assumant le rôle d'icone qu'il a obtenu, notamment dans une campagne de pub avec Bae Doona. Son dernier single en date est Limbo dont il dit avoir conçu en s'inspirant de Inception. En deux chansons, il continue d'explorer le trouble amoureux, cette fois à travers la mémoire et les impressions.


DEAN s'est imposé en moins en 3 ans comme le futur de la musique coréenne. A l'instar de G-Dragon, son gout pour la mode et pour l'art le pousse à donner un coté cryptique et brumeux à ces œuvres qui remportent néanmoins un succès populaire. Son rôle dans l'industrie  et sa place dans la K-pop, le rendent incontournable en Corée du Sud, même s'il peine à s'imposer aux USA. En attendant un éventuel succès en Occident, l'artiste coréen s'applique à créer une musique soignée et cohérente pour son plaisir, et le notre.

Bonus: l'interview flirt entre DEAN et la jeune star taïwanaise, Nana Ouyang.