dimanche 15 octobre 2017

Shunji Iwai et la K-pop.

Le cinéaste japonais Shunji Iwai est connu dans les milieux cinéphiles pour ses films singuliers et son esthétique éthérée très reconnaissable (et reconnue). Il est autant sous-estimé sur la scène internationale qu'il est méconnu dans son pays, néanmoins ses films ont marqué une génération, celle que l'on nomme génération Hallyu. Des films comme Love Letter ou Hana & Alice ont désormais un statut culte en Asie, au point qu'ils sont montrés encore aujourd'hui à certaines occasions à Taiwan ou en Corée  du Sud. Et pour les amateurs de pop culture de la dite génération, le nom du réalisateur japonais ne signifie peut-être rien mais ses images, elles ,sont plus qu'ancrées dans les esprits. Elles inspirent aujourd'hui l'une des plus grandes industries pop, celle de la pop coréenne. Aussi bien dans les visions que dans les paroles, la K-pop suinte le monde de Shunji Iwai au point parfois de lui rendre hommage volontairement ou inconsciemment.



Ainsi, voici une petite sélection de clips qui sont probablement inspirés par l'oeuvre du cinéaste japonais:


Dans What 2 Do, Dean narre l'évaporation d'un couple à travers la description de l'absence et de la confusion qui règnent avant de ne laisser place aux souvenirs. Cette narration peut rappeler Love Letter, et le clip est presque un remake plan par plan de l'introduction du film.



IU se enregistre les souvenirs de son amour passé telle Miho Nakayama dans Love Letter.



Comme dans Hana & Alice, Lee Hi & Lee Suhyun s'inventent une vie rêvée dans leur quotidien de lycéenne.


C'est la pluie de April Story qui inondent le clip de souvenirs amoureux dans Rain.



Le cinéma de Shunji Iwai, c'est aussi le travail de Noboru Shinoda. Qui est à' l'origine de visions dont la K-pop ne s'est jamais remise.



C'est également un créateur de visions de filles.



et de jeunes femmes.



Un peu comme dans Picnic, le clip de Kim Na Young tente d'explorer la psyché d'une jeune femme.


 C'est surtout un cinéma qui voyage à travers l'amour.



La solitude.

 
la mélancolie.



 Bref, Iwai c'est l'instant comme infini.

Et si vous avez 20min, regardez le court-métrage musical de AKMU (groupe de folk-pop avec la fratrie Lee Suhuyun & Lee Chan Hyuk) au Japon qui baigne dans l'esthétique de Iwai, ici.


lundi 25 septembre 2017

10 albums favoris japonais des 90s

Ce n'est pas vraiment un top, je n'ai pas d'ordre de préférence. C'est surtout pour mettre en lumière des artistes et des projets.

1 - School Girl Distortional Addict de Number Girl (1999)



C'est le second album du groupe mené par Mukai Shutoku. C'est surtout l'album qui impose le groupe comme un incontournable de la scène alternative japonaise à la fin des années 90. Entre les Pixies et Sonic Youth, le son de Number Girl dépeint les désillusions, le malaise, la confusion et l'énergie adolescente. Ils dominent la scène japonaise à la fin des 90s avec un groupe de Hokkaido, Bloodthirtsy Butchers. Le son noise de l'album tout comme les riffs rapides et entêtants hantent la musique japonaise jusqu'à aujourd'hui. Tout comme le ton décalé et poétique des paroles de son leader (qui est derrière la B.O du film "Destruction Babies"). 

chansons préférées:

- Toumei Shojo  (La fille invisible)
- Hadashi no Kisetsu (La Saison des pieds nus)

2 - J.A.M de Judy and Mary (1994)



J.A.M est le second opus de Judy and Mary qui sort 2 albums en 1994. Après un album indépendant le groupe se fait un nom avec J.A.M., il connait un succès grandissant dont cet album révèle les bases. Un son énergique, planant, pop et mélancolique. C'est un peu comme un été, solaire mais fatalement triste. La voix enfantine mais puissante de Yuki Isoya (qui mène une carrière solo aussi bien comme chanteuse que comme modèle), tout comme l'énergie et l'image excentrique du groupe sont au service d'un lyrisme pop propre au Japon.C'est fougueux, simple, mignon (assez pour que Kawase Naomi réalise un clip pour eux), c'est J.A.M.

chansons préférées:


3 - Three Out Change de Supercar (1998)



Première album du groupe de Aomori (région des chamanes et de Terayama, ce n'est pas un hasard !) qui est un monument du shoegaze japonais, voire du shoegaze mondial. Three Out Change est une révélation. Supercar est à la musique ce que Shunji Iwai est au cinéma, extrêmement sous-estimé. Et cet album est leur Love Letter. Le groupe propulse dans une dimension de sensibilité et douceur mélancolique que seuls les groupes du label de Alan McGee pouvait prétendre atteindre. Plus besoin de se risquer à prendre des drogues pour voyager à l'intérieur de soi. Three Out Change et Jump Up (l'album suivant) constituent une sommité du genre. 

Chansons préférées:

- Lucky 

4 - Rise de SPEED (1998)



Parce que SPEED est probablement le groupe d'Idol le plus important des années 90 (et pas qu'au Japon). Et que ça reste dans le crane, qu'on le veuille ou non.

Chansons préférées:


5 - Memoire DX de Malice Mizer (1994)



Avant que le groupe ne soit phagocyté par Gackt après que le leader Mana ait viré le premier chanteur du groupe, Malice Mizer sort Memoire DX. Choc esthétique qui n'a laissé indemne ni la musique japonaise ni la pop culture mondiale. Le groupe mélange des sonorités glam-rock ou même Bossa nova avec de la musique classique, le tout sur un fond gothique voire post-punk. 

Chansons préférées:


6 - the brilliant green de The Brilliant Green (1998)



The Brilliant Green c'est un peu l'autre versant de JAM, l'opposé. C'est le groupe du spleen et de la ballade. La chanteuse et compositrice Tomoko Kawase qui mène aujourd'hui une double carrière a un gout pour les chansons tristes et l'hiver. The brilliant green c'est un peu comme un flocon qui tombe doucement, il touchera bien le sol ou s'évaporera avant, en attendant on peut toujours se perdre à l'observer.

Chansons préférées:

Tsumetai Hana (Fleur Froide)

7 - 慈 - Affection de Keiji Haino (1992)



Un album de Keiji Haino c'est une expérience sensorielle entre un chapitre de Dogra Magra et un manga de Atsushi Kaneko, on ne comprend peut-être pas tout dans l'instant, mais on sait qu'on sera hanté par l'expérience. Les éléments s'assemblent et puis disparaissent, Keiji Haino parle aux fantômes. 

Chansons préférée (l'album est constituée d'une seule track):

(Affection)

8 - Muzai Muratorium de Shiina Ringo (1999)



C'est simple en occident, on a PJ Harvey, Courtney Love et Shirley Manson. Au Japon, Il y a Shiina Ringo et c'est déjà beaucoup.

Chansons préférées:

Kabukicho no Jou (La Reine de Kabukicho)
Kofukuron (La Théorie du Bonheur)

9 - Siren de Susumu Hirasawa (1996)



Chacun sait que Hirasawa est l'alter-ego de Satoshi Kon dans la musique. Comme pour les films de ce dernier, Siren est un voyage spirituel dans les contrées métaphysiques de la musique électronique.

Chansons préférées:


10 - Echizen Takemai de Sayuri Ishikawa (1991)



Depuis les années 70, il y a un album de Sayuri Ishikawa tous les deux ou trois ans. Et c'est Sayuri Ishikawa !

Chansons préférées:

Amagi Goe (La Traversée d'Amagi)
- Utakata (Ephémère)

mardi 18 juillet 2017

I-dolls Part III: Aegyo is the new Kawaii

Si les idols coréennes ont explosé en occident à la fin des années 2000, c'est parce que le phénomène synthétise la pop culture coréenne dans sa dualité, et son innovation. Entre les influences régionales (notamment japonaises et hongkongaises) et l'héritage de la pop culture américaine (mais pas seulement celle des USA...). La Corée du Sud a forgé à travers cette dualité les pop-stars du présent, et celles du futur. Elle réconcilie à une vision excentrique et emphatique inhérentes à la pop culture asiatique, l'efficacité et le pragmatisme de l'industrie américaine voire une vision avant-gardiste que l'on retrouve dans la pop européenne . Si on ajoute à tout cela la maîtrise et l'avancée des nouvelles technologies (on parle d'un pays qui s’apprête à lancer la 5G, alors qu'on peine à avoir la 4G correctement à Paris...) , donc de la communication et des images, on peut comprendre comment les idols coréennes se sont emparées de la pop culture mondiale. Les idols coréennes ont une histoire similaire à celles des concurrentes japonaises, et pourtant elles ne renvoient pas la même image. Les coréennes ont su s'inscrire dans un mouvement global, et en devenir les leaders, alors que le Japon n'ose même pas rendre ces clips accessibles en dehors  du Japon pour certains groupes...C'est à travers ces détails que s'est construit le fossé entre la J-pop et la K-pop, entre les idols japonaises, et leurs homologues coréenness qui semblent êtres les versions 3.0 du système japonais qui se complaît dans son enfermement. Néanmoins, il n'y a pas vraiment de perdants ou de gagnants dans cette rivalité, il y a surtout deux visions de la jeune femme, une éternelle jeune fille pour le Japon et une jeune femme qui révèle sa féminité pour la Corée. C'est de cette dernière que nous parlerons à travers mes errances dans le monde des idols coréennes.



La Première génération: Hallyu World

Le mot "hallyu" désigne l'explosion de la vague culturelle et artistique sud-coréennes dans les années 90 dans les autres pays asiatiques. Il désigne la domination des tendances coréennes aussi bien dans la musique et les dramas que dans les jeux vidéos et le cinéma dans les pays voisins jusqu'aux USA voire en Europe. Je ne me  suis pas attardé à écouter la musique des jeunes coréennes de l'époque, mais deux groupes reviennent souvent, S.E.S et Fin.K.L. Le premier est toujours omniprésent dans la pop culture coréenne car les nouveaux groupes de filles font souvent des reprises dans les festivals, et autres show télévisés. Mais également à travers la figure de Bada, qui est la leader du groupe et qui est aujourd'hui une figure pop, toujours en vogue dans les différents types de show coréens (l'industrie de la K-pop est étroitement mêlée à celle de la télévision, et de nombreux programmes n'existent qu'à travers des noms ou des invités célèbres récurrents...Ainsi, un adolescent coréen qui regarde un peu la télévision en 2017 peut connaitre l'ensemble des gloires, même les plus éphémères, des 90's sans trop d'efforts, tout en regardant des émissions "hype". Ce qui n'est pas forcément le cas en France par exemple.). Et son mariage récent avec un homme plus jeune, tout comme le comeback du groupe cette année (après 15 ans d'absence), a rendu S.E.S inévitable dans le paysage pop coréen.


On constate dès les premières secondes du clip, qu'il s'inscrit clairement dans l'esthétique R'n'B qui est en pleine explosion aux USA. On pense à TLC ou aux Destiny's Child. On peut même penser au phénomène japonais SPEED qui dominait les charts asiatiques dans le même temps. S.E.S surfe tranquillement sur la vague en offrant aux coréens une version locale d'un phénomène mondiale, avec des figures qui marquent encore la pop coréenne. Concernant, le cas de Fin.K.L, c'est un peu différent. Le groupe a également laissé une empreinte dans la K-pop, mais s'il est toujours dans les mémoires, c'est surtout grâce à la carrière de Lee Hyori que l'on s'en souvient. Cette dernière a accompagné la vague à travers les différentes générations et a aidé à redéfinir la K-pop voire à lui donner son identité, du moins celles des idols coréennes. Elle n'a pas explosé les charts, et pourtant ses chansons sont reprises tous les mois par des artistes déjà installés  ou par des jeunes qui tentent leur chance dans les survival show. Elle a sculpté dans l'ombre, l'image de la jeune femme coréenne. Elle a d'ailleurs fait un comeback cette année avec un concept sensuel qui redistribue les cartes dans une industrie qui ne jure que par la jeunesse. Pour conclure sur Fin.K.L, le groupe était dans le sillage de S.E.S, et semble avoir une influence beaucoup plus nippone que son rival. L'un des succès de Lee Hiyori fut, U-go-girl.

La chanson est sortie en 2008, elle est beaucoup plus sophistiquée que celle du groupe Fin.K.L. Mais c'est surtout l'image de Lee Hyori qui marque l'imaginaire pop coréen et qui défini toujours aujourd'hui les archétypes des idols coréennes. Le clip nous la montre clairement comme une jeune femme, qui oscille entre sa féminité (sexy) et son coté puritain. Ce n'est pas un simple effet, si le clip se déroule dans une sorte de quartier américain des trentes glorieuses intemporelles, la Corée du Sud contemporaine se retrouve dans les mœurs puritaines et bienveillantes de l'époque, du moins les revendique dans sa culture pop, tout en affirmant une extrême modernité propre à la jeunesse. La jeune femme doit s'affirmer en tant que telle à travers l'explosion de sa féminité et de sa sensualité, tout comme elle doit rester pudique et réservée. On peut croire que cette dualité vient autant de la présence et de la popularité de l’évangélisme en Corée que de la tradition confucianiste, mais à l'aune de la modernité que semble épouser la K-pop, et les jeunes femmes coréennes, ce trouble ou ce jeu semble beaucoup plus global. Lee Hyori s'est donc fait interprète des voix de ces jeunes femmes, et à ainsi permis à son échelle de libérer les idols coréennes qui deviennent dès lors des icones sexy, glamour et fashion avec l'arrivée de la seconde génération.

La Seconde génération: K-pop

Lorsqu'on suit les tendances mondiales, il est impossible de passer à coté des groupes de la seconde génération. Que ce soit sur un reportage un peu débile sur une chaîne publique (ou privée, je me souviens du machin de De Caunes...) ou par une recommandation hasardeuse sur youtube à  2h du matin, on a tous plus ou moins eu à faire à des groupes de la seconde génération. C'est d'ailleurs par ces groupes que mon voyage dans la K-pop a réellement commencé. On désigne les groupes ou les idols de la seconde génération comme ceux qui ont commencé leur carrière dans la deuxième partie des années 2000 au début des 2010, les groupes de l'ère youtube. C'est par cette plateforme que la K-pop a pu s'introduire dans la pop occidentale si verrouillée, il fallait bien une révolution numérique pour apporter de nouvelles figures dans la pop mondiale. PSY, à l'aune de ses milliards de vues sur youtube, est bien l'étendard du mouvement qu'à opérer la seconde génération, aussi bien de son impact, que de ses moyens. Cependant le groupe qui m'a fait plonger se détache du phénomène Gangnam style par sa production plus complexe mais le rejoint dans la réception que j'en ai eu à l'époque. C'est Girl's Generation ou SNSD pour les connaisseurs (ou Shojo Jidai au Japon...) avec un clip en particulier. Et j'étais abasourdi.

Pour un habitué des idols japonaises, je me retrouvais en territoire familier et pourtant je n'avais aucun repères. La dualité qui marque les idols coréennes se retrouvent ici à son paroxysme entre aegyo et sexy. Mais le plus frappant était surtout la sophistication de la musique, je découvrais alors que la K-pop ne brillait pas par des effets occasionnelles ou par l'effet de communauté propre à la J-pop, mais surtout par une production artistique et esthétique de qualité. En gros, le choc pour moi était de découvrir que la rigueur et la radicalité qui m'enchantaient dans "la nouvelle vague coréenne", se retrouvait également dans la musique populaire. La maîtrise technique définissait les productions coréennes . Certes, les productions japonaises sont également très travaillées, mais la Corée se retrouvait par sa rigueur à l'avant-garde de la pop mondiale du jour au lendemain pour moi. L'autre chose qui était fascinant était justement la figure de ces femmes, elles étaient similaires à celles de la pop américaine donc hautes en couleurs. Et pour le reste, il suffit de regarder la folie esthétique et technique qu'est ce clip à tous les niveaux. Je me suis donc intéressé à SNSD, et aux carrières solos de ses membres. Je suis toujours les nouvelles chansons de Taeyeon, et les passages dans les shows de Sunny qui est l'une des figures du Aegyo. SNSD est le groupe qui a le plus vendu en Asie devant AKB48 (ça veut dire, ce que ça veut dire !) et le second dans le monde après les Spice Girls.
Aegyo légendaire de Sunny.

Le second groupe de cette génération qui m'a marqué, et que j'écoute toujours, c'est 2NE1. Elles viennent de YG entertainement. (l'agence de BIGBANG , G-DRAGON et PSY, donc l'agence coréenne la plus populaire en théorie dans le monde...Et l'une des plus puissantes. Elle a été fondée par Yang Hyun-suk qui était un ancien membre du groupe de Seo Taiji [dont je parle à chaque post sur la Corée]. SNSD vient de SM qui est également une agence extrêmement puissante aujourd'hui. Avec le temps, les agences ont révélé des spécificités qui font qu'elles ne sont pas "rivales" chez les fans, par exemple SM a la réputation de recruter des jeunes talents très beaux, et de mettre le physique en avant à travers pubs pour tout ou n'importe quoi, et des shootings de mode aussi bien en Corée qu'en occident. YG est réputé pour recruter des artistes avec des univers très marqués. Alors qu'une agence comme Antenna a pour réputation de ne recruter que des artistes qui maîtrisent des instruments et le song-writing même s'ils ne sont pas particulièrement soignés ou n'ont pas des visages de top model. Ou JYP est réputé ne recruter que des filles "sexy" ou avec "une beauté naturelle" etc...) Contrairement à 2NE1, je n'ai pas été tout de suite frapper par l'esthétique visuelle du groupe mais par sa singularité musicale. En effet, des artistes américains reconnaissaient la particularité de 2NE1 à l'aune même de leur pop. Le monde prenait conscience que la K-pop n'était pas un décalque de la musique américaine mais bien une autre vision de la pop et des cultures urbaines qui résonnaient autant dans les quartiers de Séoul, de Daegu ou de Busan que dans les grandes villes américaines ou européennes.


Bien sur la folie esthétique qu'elles propageaient dans leur clip n'avait rien a envié à celle de SNSD.

Mais l'une des meilleures performances du groupe restent la version acoustique de "Come Back Home" qu'elles ont interprété 1 mois après l'incident du Sewol. et concernant, l'image féminine 2NE1 est justement le groupe qui a laissé le trouble femme/fille pour se concentrer sur une image de femmes fortes et qui assument pleinement leur sensualité, voire leur sexualité. Elles ont meme fait une sorte d'hymne à cette image dans leur dernier album, avec leur chanson "Crush". 2NE1 était également et surtout un groupe "live", l'esthétique de leur show était admirée par les fans, et elles cumulent des millions de vues sur différents concerts. A la vision de ses clips, on peut tout de suite remarquer que la leader du groupe, CL, se démarque. Et c'est sa carrière que j'ai suivi après la pause puis l’arrêt de 2NE1, pourtant au sommet (à cause de problèmes entre Minzy et YG...). Elle tente plus ou moins de s'imposer aux USA, et cultive son image sexy entre une sorte de Lil Kim et de Ciara, The Baddest Female.

2NE1 était une petite révolution dans la K-pop. Les productions plus matures du groupe ont ouvert la voie à d'autres groupes qui ont beaucoup plus exploité le coté sexy, jusqu'à créer une vague érotique dans la K-pop. Certes, ils n'étaient pas tous très bons, et beaucoup ont disparu aussi qu'ils sont venus avec leur coté racoleur. Mais la K-pop étant un lieu de talents, les productions audacieuses étaient souvent récompensées et menaient à la révélation de nouvelles figures. J'ai ainsi dans mes groupes préférés, deux groupes de cette vague sexy.  Le premier est 4MINUTE, un groupe de cinq jeunes femmes dont la leader Hyuna a redéfini le sexy à la télévision coréenne. En effet, les clips de la jeune femmes sont tellement osées pour les coréens, qu'elle est le référent pour savoir si un clip est diffusable ou pas sur les chaines publiques coréennes. Mais les cinq membres de 4MINUTE brillent autant par leur musique que par leur plastique, et elles résument bien la K-pop des années 2010, qui est une symbiose entre une image fantasmée voire divine des artistes et des chansons produites avec une précision chirurgicale. En effet, dans les groupes chacun à sa place, sa tonalité, sa voix, son image, et il n'y a que le mépris/l'incompréhension occidentale qui y voit une uniformité. Il y a des tendances, mais jamais d'uniformisation, il y a une structure mais il n'y a pas de normes. Tant qu'il n'y a pas de scandales, alors n'y a pas d'interdits, c'est aussi la différence entre le monde des idols coréennes et des idols japonaises.

4MINUTE était la version badass de ce qu'aurait pu être 2NE1, elles sont beaucoup plus suggestives, beaucoup plus urbaines. Concernant, Hyuna elle s'est exprimée à travers différents single de plus en plus sexy. Sa voix aiguë et sa plastique qui suit les canons de beauté de instagram font mouche, et les ersatz de Hyuna appairassent ici et là.  Aujourd'hui 4MINUTE est disband, et Hyuna tente un nouveau groupe. 


L'autre groupe qui m'a marqué c'est SISTAR. Comme les autres groupes, celui-ci tourne autour d'une figure forte, Hyorin.  Le groupe a même fait le buzz en occident, il y a 2 ans grâce à leur clip "Touch My Body" comme étant le summum du sexy coréen. Mais ce qui m’intéressait dans le groupe, c'était leur ballade ou leur chanson R'n'B, les moins célèbres. Et surtout le sous-groupe SISTAR19 qui était composé de Hyorin et de Bo Ra. Le groupe était un concept autour des deux jeunes femmes dont les chansons devaient exprimer les émotions et les déboires d'une femme de 19 ans. 


Le goupe est aujourd'hui séparé, mais nous a offert une dernière folie l'année dernière avec ce morceau produit par Giorgio Moroder en personne (que l'on voit également dans le clip).


La tendance sexy et mature des différents groupes ont façonné les idols coréennes. Dans le même temps, des groupes comme Apink ont continué de faire vivre et de jouer de la dualité femme/fille. Des groupes ont fait leur dernier coup d'éclat comme Wonder Girls  , d'autres continuent de faire des hits à l'occasion comme F(X) , Girl's Day  , AOA , Miss A. Mais la nouvelle génération est déjà là, et elle prend beaucoup de place. Dans une industrie ou l'esthétique ne pardonne pas, les nouveaux visages accaparent très vite l'attention. Plus intéressant, un nouveau mouvement prend forme dans l'image de la jeune femme coréenne à travers les idols.



La Troisième génération: "Rookie rookie, my super rookie rookie"

Cette dernière génération comporte les groupes qui ont débuté après 2012. C'est un peu une année charnière qui marque un tournant dans la K-pop. Cette génération est marquée par le retour de la jeune fille. C'est comme si l'influence japonaise revenait infiltrer la K-pop. Comme si les femmes fortes avaient laissé place à des filles virginales...mais capricieuses. C'est comme ça que se démarque cette troisième génération. Elle retourne à la dualité de l'idol coréenne mais avec une image plus contemporaine. Les filles sont conscientes d’être jolies, d’être des stars, d’êtres "suivies" sur les réseaux mais jouent de leur présupposé naïveté et de leur jeunesse à travers des concepts et une esthétique fascinante qui réinvente des figures. En gros, l'idol coréenne passe de "Mes meilleures amies" à "The Neon Demon" avec la troisième génération. Quelques groupes attirent mon attention pour des raisons diverses. D'abord il y a Red Velvet, c'est assez simple, c'est un groupe de SM, ce sont des filles extrêmement belles, qui chantent extrêmement bien, fin de l'histoire.  A chaque clips, elles redéfissent les tendances vestimentaires et cosmétiques en Corée jusqu'à leur prochain. Elles font du modeling, et de elles jouent dans des dramas. Bref, Red Velvet est le groupe théoriquement parfait puisque c'est dans l'adn du groupe d’être entre le "red" (mignon) et le "velvet" (sexy). 


Concernant la dualité qui s'avère être pour cette génération une transition. Il y avait une sorte de cérémonie de la féminité qui avait lieu chaque année ces trois dernières années. Des groupes ou des formations d'idols dans leur vingtième année effectuaient la danse "Adult Ceremony" qui est une chanson de Park Jiyoon. Et qui raconte comment une fille perd sa virginité ou du moins s'éveille au désir: 

en 2014 , 2015 et 2016.



Puis il y a les groupes "japonisés". Ce sont des groupes qui semblent reprendre des codes ou des éléments de idols japonaises. Le public qui suit est le même que celui des idols nippones, des hommes (ce qui n'est d'habitude pas le cas en Corée). De nouveaux groupes s'inscrivent dans ce mouvement, il y a très technique GFriend, dont les chorégraphies sont tellement millimétrés que le groupe rafle des récompenses pour ces dernières.

et puis il y a Dreamcatcher. Le groupe tente de faire la symbiose entre la K-pop et le métal à la manière d'un Babymétal au Japon. Ce n'est pas dénué d’intérêt car elle tente de construire un univers à travers leurs clips, un univers qui doit autant au slasher qu'à la J-horror.
Part I

Part II


E
t la dernière catégorie de cette génération sont les trois groupes phares. Les groupes dont les stars à peine majeures écument les émissions et sont déjà considérés comme des légendes, alors qu'elles n'ont même pas encore fait d'album pour certaines. Elles sont accueillies partout avec des superlatifs et des surnoms divins, bref, ce sont les nouveaux phénomènes. Ce sont Oh My Girl, TWICE et BLACKPINK. Le premier est un groupe qui brille par la vigueur et les performances de ses membres. Elles vont dans beaucoup de show, et se font remarquer par leur audace, ou leur beauté. Leur musique est également un peu plus sophistiqué que le tout venant de la K-pop. Elles n'ont pas un impact aussi puissant que les deux autres, mais leur omniprésence est significative.






TWICE est arrivé par surprise, et le groupe a tellement marqué l'année 2016 qu'on aurait pu prendre leur chanson "Cheer Up" pour l'hymne nationale de la Corée du Sud. Avec trois membres japonaises, et une membre taïwanaise , TWICE veut être le girls band ultime. Elles sont autant détestées que adorées par les netizens. Leur esthétique fait toujours débat car elles ont débutés en tant que lycéennes, et JYP (leur agence) est connue pour l'érotisme de ses concepts. Et leur musique fait toujours mouche, on l'entend une fois, on l'entend pour toujours.

Le dernier groupe est BLACKPINK. C'est le groupe de filles de YG qui doit succéder à 2NE1, elles ont à peine commencer il y a moins d'un an que tout le monde a oublié 2NE1. Elles sont icônes absolues des jeunes coréennes voire de l'ensemble des jeunes femmes.  Elles mêlent justement tous le trouble que port leur position et le pousse à son paroxysme, elles se sont autoproclamées reines de la K-pop et le sont devenues. BLACKPINK est le groupe étendard de la génération. Elles dominent les réseaux sociaux et font vendre autant leur musique que leurs vêtements. C'est l'espèce de produit arty que tout producteur de pop rêve de créer, ce n'est pas que leur musique et leur style sont contemporains, c'est qu'elles sont ce qui sera contemporain. Le changement avec la génération précédente, c'est que toutes les filles sont "spéciales", le groupe ne tourne plus autour d'une seule voix . Elles affirment une féminité exacerbée tel un super pouvoir alors que les générations précédentes semblaient troubler. C'est le groupe qui résume le mieux cette génération, et c'est celui qui résume le mieux la K-pop en 2017.



Et pour finir, en 2016, il y a eu I.O.I un groupe qui était le produit d'un survival show mais dont la durée de vie ne devait pas dépasser une année. Ainsi, le groupe devait juste servir de tremplin pour que les jeunes filles se fassent un nom, certaines ont réussi d'autres non. Elles ont quand même un hit à leur actif.


Les idols coréennes continuent de s'imposer et ne sont pas prêtes de disparaître,  elles sont désormais des marqueurs des tendances et de l'esprit du temps, au meme titre que des Miley Cyrus ou Arianna Grande. Ils existent cependant des chanteuses qui ne jouent pas le jeu de idoles, et qui pourtant façonnent également la K-pop. Peut-être des reines excentriques de la Corée du Sud...

samedi 6 mai 2017

DEAN: Le prince du R&B 2.0

Alors que la K-pop ne cesse de puiser dans la pop, le rap et la musique américaine, les nouvelles générations se démarquent par des démarches artistiques singulières qui prouvent que l'industrie de la musique coréenne est également porteuse de nouveautés autant que de qualités. La nouvelle génération de musiciens et d'artistes nées dans les années 90 dominent aujourd'hui les charts coréennes. Il est donc normal qu'à l'aune de ses différentes composantes, l'une des nouvelles grandes figures du R&B mondial soit coréenne. Et ce visage du renouveau, c'est DEAN. Le R&B tel que nous le connaissons aujourd'hui s'est popularisé dans les années 90 et au début des années 2000 autant à travers des œuvres particulière qu'à travers la vulgarisation du genre par des Boys Band. Aujourd'hui c'est majoritairement l'apanage des artistes pop entre une ballade et un son EDM comme Ariana Grande, même s'il existe des artistes R&B comme Yuna qui ont un succès moindre. C'est également le cas en Corée du Sud. DEAN est donc à la fois dans une lignée coréenne et américaine, mais comme beaucoup d'artistes de sa génération, la culture d'internet a aboli ses frontières. DEAN est l'un des  membres éminents de la scène R&B coréenne, donc mondiale.


A l'origine Kwon Hyuk n'est pas issue d'une grande agence ni d'un quelconque programme d'idols comme c'est le cas pour beaucoup de chanteurs coréens, malgré son physique. Il raconte qu'il n'était pas vraiment passionné par la musique ou par quoique ce soit de particulier, jusqu'à ce qu'il découvre des musiciens américains au lycée. Il tombe alors dans la musique, et comprend que même s'il n'est pas doté d'une voix hors-norme ou de l'entrainement spartiate des wanna-be Idol, il pourrait s'adonner à sa passion en maîtrisant la technique. Il apprend en autodidacte en imitant les chanteurs US, ou en développant sa technique et ses connaissances sur internet. Fort de ses nouvelles capacités, il se lance dans des projets de hip-hop underground aux USA. Il pense que sa musique aura surtout du succès en Amérique du Nord. Mais après avoir produit des chansons et fait des collaborations, il comprend que l'industrie américaine n'est pas prête à accepter un coréen, peu importe ses qualités ou son travail. Il revient en Corée du Sud et tape dans l’œil des plus grandes agences en tant que producteur.

 En 2013 (à 21 ans), il produit les albums du groupe qui bat tous les records , EXO.   La même année, il produit également un autre boys band qui est lui aussi un phénomène, VIXX. Puis il va également travailler sur les albums d'autres stars/groupes dans différents genre comme John Park ou HISTORY. Il se fait une place dans l'industrie et surtout un nom. Alors qu'il n'a pas encore sortie de sons, Kwon Hyuk est déjà une valeur sure de l'industrie. 2015. Tout bascule le producteur, compositeur et parolier de talent s'avère être un chanteur.  Et un bon.


Le single n'est pas un carton, mais il montre clairement les ambitions du chanteur coréen. Il chante en anglais et fait un featuring avec un autre talent qui est dans le meme cas que lui aux USA, Eric Bellinger. Kwon Hyuk qui est désormais DEAN (en référence à James Dean) n'est pas intéressé par le public coréen, puisqu'il a passé a 2 ans à écrire et composer la musique qui intéresse justement ce public. Il est persuadé que son style et son esthétique ne sont pas pour le grand public coréen. Il persiste et signe avec son second single, Put My Hands On You. Cette fois, on apprend que DEAN n'est pas non plus dans les tendances coréennes, mais plus dans un mouvement global, plus dans le mouvement d'une génération. L'esthétique n'est pas sans rappelée celle des artistes underground des années 2010, entre chillwave, vaporwave, cloud rap, seapunk et "sad boy". Ces mouvements sont des esthétiques nées d'internet, il y a une musique, des vêtements, des codes qui régissent ces cultures alternatives qui se diffusent sur tumblr, instagram et youtube. DEAN s'inscrit dans cette vague car il travaille également son apparence pour suivre ces visions. D'ailleurs, il se place en pionnier coréen dans le genre "Soul-trap", qui est simplement la version contemporaine du R&B . Il est entre Usher et Yung Lean aussi bien dans sa musique que dans la forme qu'il lui donne. En ce sens, il va au-delà des tendances coréennes, ou du moins s'inscrit dans une vague avant-gardiste qui commence à dominer la scène rap et r&b mondiale aujourd'hui. Dans ce geste de pionnier, ils fondent avec d'autres membres de la scène underground coréenne, le collectif, Club Eskimo. Il contient plusieurs membres, dont des producteurs, des rappeurs, des DJ dont les deux membres les plus célèbres (en dehors de DEAN) sont Offonoff  et CRUSH. Meme si les membres sont coréens et vivent en Corée, le groupe fait souvent des concerts aux USA ou au Canada, là ou se situe son public, du moins celui qu'ils visent.



DEAN continue son travail de producteur de l'ombre jusqu'à l'album SEOULITE de Lee Hi. 2016. DEAN sort également son premier album qui résonne comme une bombe aussi bien dans la K-pop que dans le Hip-hop coréen. 130 Mood: TRBL (en référence à la voiture de James Dean) pousse la logique esthétique de son auteur à son paroxysme. L'album est conçu comme un film qui commencerait par la fin. DEAN sait que pour se différencier une belle voix ou un beau visage ne suffisent pas dans un pays qui en a des nouveaux chaque semaine, il tente de proposer une expérience à ses auditeurs. Alors qu'il est nourri par la musique, DEAN révèle que ses inspirations viennent du cinéma, et qu'il ne pense la musique qu'à travers des images et des scènes de cinéma. Le jeune homme qui maîtrise la technique peut se permettre une telle ambition pour son premier album puisque seul son imagination est sa limite dans un pays qui ne le connait pas encore.  DEAN va donc s'amuser à créer des morceaux complexes aussi bien musicalement que thématiquement et bien sur les accompagner d'une imagerie tout aussi soignée à travers des clips aussi fascinant que beaux.
L'histoire de l'album est celle d'un jeune homme qui rencontre une jeune femme avant de se lancer dans une vie de outlaw qui mènera à la perte de cette dernière. Ils racontent les différentes étapes de cette fuite amoureuse (un peu comme Roland Barthes des fois, mais avec de la musique). Il est donc normal que l'un des titres clés soit "Bonne & Clyde".



Dans l'album, Bonnie & Clyde est la 3ème chanson, celle qui annonce la fin du couple. DEAN offre un clip mystérieux ou il joue avec les fantasmes, la réalité, le désir. Bien sur, il assume les références, et le coté cryptique qu'il prend du coté de la Nouvelle Vague française. [Clip en VOSTFR]
Comme pour d'autres artistes de sa génération, le jeune coréen n'hésite pas à faire des citations ou des références cryptiques à des films d'auteurs, des peintres ou des écrivains. Le propre des mouvements qui sont nées sur internet à la fin des 2000s, c'est juste d'avoir aboli toute sorte de hiérarchisation dans la culture et l'art, on parle de Britney Spears comme on parlerait d'un film de John Waters, puisque tout est accessible, parlons de tout.

L'autre grande chanson et clip de l'album selon moi serait également What 2 Do.


Le clip refait clairement des scènes de "Love Letter" de Shunji Iwai, et la chanson porte justement sur le désarroi amoureux, la distance [VOSTFR]. C'est la chanson qui vient après "Bonnie & Clyde", c'est donc celle du doute avant la fin. L'art de DEAN est dans ce morceau ou tout est épuré, tout est cohérent. A l'instar, d'un film de Shunji Iwai. Les voix s'accordent et se ressemblent mais ne chantent pas la même chose, pas de la même manière. En Corée du Sud, la chanson marque par la prononciation très travaillée de certaines expressions qui donnent un surplus poétique que n'a pas manqué de noter le public coréen. DEAN travaille sur les détails, les ambiances, les formes. Après tout, il n'a pas de problème avec le reste.

Mais la chanson qui le fait connaitre auprès du grand public coréen et qui lui fait conquérir aussi bien le cœur des jeunes que les hautes places des charts, c'est D(Half Moon).

Entre la douce mélodie, la production chirurgicale et la voix claire du bonhomme qui déclame son errance amoureuse, il fait la différence. Encore une fois, DEAN brille par sa logique conceptuelle et son sens des formes. Le D, n'est que la moitié d'un rond qui serait leur amour, la lune. La chanson oscille entre la ballade et le R&B, avec des parties chantées, des parties presque parlées et du rap. Le génie de DEAN réside dans la maîtrise qu'il applique à créer une symbiose, un voyage à travers ces différents éléments. Les cover pleuvent sur youtube et les autres stars aussi bien de ballade/folk coréenne que de la pop n'hésite pas à reprendre le morceau. C'est la consécration.


Il enchaîne les featuring, collaborations et productions durant l'année 2016. Il aide une nouvelle venue à se faire un nom, Heize. Il collabore avec la superstar issue d'un des plus célèbres Girls Band, Taeyeon. Il produit et aide son ami ZICO, sur le grand retour de son groupe, BLOCK B. A la Kcon de Los Angeles, il y a même une vidéo de remerciements de stars de K-pop, alors que le grand public ne connait son visage que depuis 6 mois à peine.  DEAN est au sommet en Corée du Sud, et le revendique à travers le morceau d'ego trip, Bermuda Triangle avec ses comparses, CRUSH et ZICO. Une sorte de triangle du succès, ou tout ce qu'ils touchent devient de l'or. Les trois jeunes hommes nées dans les années 90 se rendent compte qu'ils dominent l'industrie musicale par leur production et leur musique, dans la pur tradition urbaine, ils le revendiquent fièrement.

Aujourd'hui DEAN continue ses productions et ses collaborations en Corée. Mais il a surtout repris son rêve américain en donnant des concerts à travers les grandes villes américaines et au Canada. Il n'appartient toujours pas à une grande agence coréenne et organise des tournées underground alors même que sa musique résonne dans les tètes des jeunes coréens. Il s'épanouit en live, et tente de partager sa musique directement, le live est important dans la K-pop car il donne à ressentir l'émotion véritable et surtout il dévoile les capacités réelles (la Corée du Sud est compétitive jusque dans les émissions de musique, surtout dans les émissions de musique), le live fait et défait les carrières. Il continue ses expérimentations et sa musique dans son coin, tout en assumant le rôle d'icone qu'il a obtenu, notamment dans une campagne de pub avec Bae Doona. Son dernier single en date est Limbo dont il dit avoir conçu en s'inspirant de Inception. En deux chansons, il continue d'explorer le trouble amoureux, cette fois à travers la mémoire et les impressions.


DEAN s'est imposé en moins en 3 ans comme le futur de la musique coréenne. A l'instar de G-Dragon, son gout pour la mode et pour l'art le pousse à donner un coté cryptique et brumeux à ces œuvres qui remportent néanmoins un succès populaire. Son rôle dans l'industrie  et sa place dans la K-pop, le rendent incontournable en Corée du Sud, même s'il peine à s'imposer aux USA. En attendant un éventuel succès en Occident, l'artiste coréen s'applique à créer une musique soignée et cohérente pour son plaisir, et le notre.

Bonus: l'interview flirt entre DEAN et la jeune star taïwanaise, Nana Ouyang.






mercredi 15 mars 2017

Du Shoegaze japonais.

Le shoegaze c'est un peu comme s'endormir la fenêtre ouverte dans un train durant une lourde journée d'été pour certain, ou somnoler dans la salle froide d'une clinique pendant une IRM pour d'autres. Le shoegaze c'est un mur du son (un bruit constant) et un chant ou des chœurs clairs/distants/éthérés, on y vise l'osmose. L'expérience est sensitive, abstraite, voire chamanique ou transcendantale. A l'origine, il y a un mouvement musical venu du Royaume-Unis, entre dream pop, gothique/post-punk, twee, et psyché. Un ensemble de groupe émerge à travers le label Creation Records de Alan Mcgee. Les plus connus sont Slowdive, My Bloody Valentine et Ride. Le mouvement prend de l'ampleur et des groupes des USA y souscrivent, il y en a même des traces en France. Le shoegaze a la particularité d’être une expérience esthétique "écrasante" donc introspective. Cette particularité vient de ses membres créateurs, des étudiants en littérature, art, musique qui consommaient des drogues douces et des psychotropes un peu comme dans les années 60 (ce n'est pas pour rien que la vague apparaît durant le Second Summer of Love). L'abstraction du shoegaze tente de retranscrire des expériences quotidiennes à travers le mystère d'un bruit constant, celui des pensées, de la ville, du vent, de la vie. Un peu comme dans la peinture de Turner ou la poésie de Thoreau, le shoegaze produit un son flou qui mettrait en évidence un sublime de l'expérience quotidienne. Cette écoute de soi et du monde, tout comme le lâcher prise face aux mystères des sentiments prosaiques résonneront fortement au pays du Yugen et du mono no aware. Au début des années 90, les japonais aussi ont commencé à regarder leurs chaussures pour appuyer sur les pédales qui exprimeraient les tréfonds d'un quotidien illusoire.

Les différentes facettes du mouvement japanoise à la fin des années 90 font qu'il existe des proto-groupes de shoegaze, plus exactement des proto-sons qui viendraient de groupe comme Zeni Geva ou de Keiji Haino. Mais pour ma part, la véritable expérience du shoegaze japonais commence avec Coaltar of The Deepers. Le groupe de Nackie (Nobuki Narasaki) s'inscrit dans le mouvement malgré ses digressions et ses expérimentations, le groupe a toujours revendiqué son origine shoegaze.

 
Le groupe suit le mouvement des groupes anglais et s'empare de la mélancolie urbaine, des dérives d'une jeunesse coincée dans l’onirisme de la routine. Mais contrairement aux groupes anglais, ils opèrent à faire muter le genre, comme beaucoup de mouvements occidentaux qui arrivent au Japon. Ils peuvent y ajouter une énergie plus punk voire métal.



 L'autre grand groupe qui marque le shoegaze japonais des débuts, c'est SUPERCAR. Le groupe de Koji Nakamura et Miki Furakawa tout droit venu de Aomori va marquer la musique alternative japonaise. SUPERCAR s’approprie le shoegaze et le pousse dans le cotonneux, le sucré, le plus lisse. Alors que COTD tentait d'injecter une énergie punk dans le mouvement, une sorte d'énergie plus sombre, SUPERCAR va prendre une autre voie, celle qui consiste à partir dans un doux flou, une mélodie flottante semblable à celle d'un vol spatial. Un autre groupe accompagne le mouvement, il est beaucoup moins connu, mais tout aussi intéressant, LUMINOUS ORANGE. Ce dernier semble continuer le geste de My Bloody Valentine. Concernant, SUPERCAR, Le son du groupe va rentrer dans l'imaginaire d'une génération qui ne s'en remettra jamais.




 Avec:
 
ou:


   

Puis le genre a muté ou du moins s'est greffé au courant du rock alternatif japonais dans les années 2000. SUPERCAR se sépare mais les deux membres éminemment du groupe, Koji et Miki vont suivre des carrières solo (avant de reformer le groupe LAMA en 2011). COTD ne sépare pas, mais son leader Nackie va explorer différentes voies et va aider des projets , faire de la musique de films ou même signer des opening d'anime géniaux. Beaucoup de groupes revendiquaient l'influence ou proposaient des chansons shoegaze. Il y a par exemple le groupe qui a marqué les années 2000, Asian Kung-Fu Generation (si ce n'est LE GROUPE des années 2000 au Japon) qui oscille entre garage, rock indé, shoegaze et pop punk (meme si la principale influence est Number Girl, groupe dont je parlerais forcément un jour). Ou Plastic Tree, groupe mutant entre Visual Kei, shoegaze et pop rock. L'esthétique shoegaze aussi bien celle de la musique/clip que de ceux qui l'a font a aussi marqué le Japon. Les clips semblables aux séquences hallucinés de Pique-nique à Hanging Rock, les espaces vides ou épurés, ou les projections de motifs/couleurs/images 8mm sont aujourd'hui récurrentes dans le rock alternatif japonais. Le son du shoegaze s'est également transformé pour devenir une sorte de rêverie lente dont seuls des groupes avec un fort "univers" ont pu se démarquer.

Par exemple Marching Band de AKFG (avec un très beau clip):


ou Plastic Tree (avec son leader Ryutaro Arimura esspèce de Thom Yorke japonais qui ne vieillit pas):


Mais les deux voies offertes par les groupes initiateurs du mouvement ou du moins, étendard, vont révéler des disciples vers la fin des années 2000. Les jeunes gens qui écoutaient cette musique à la fin des années 90 sont enfin en age de se faire entendre, et ils vont utiliser "le mur du son" pour cela. Dans le même temps un autre groupe qui n'était connu que des observateurs pointilleux se fait une place sur la scène internationale, Boris. Le groupe qui était largement connu dans la scène underground japonaise se fait un nom en participant à la musique du film de Jim Jarmusch, Limits of Control. Les disciples du mouvement et Boris (qui est bien trop éclectique pour être un simple groupe de shoegaze) vont être le moteur du revival shoegaze qui touche le Japon depuis les années 2010.

On peut compter parmi les disciples de groupes comme Lemon's Chair qui revient à l'origine contemplative et introspective du mouvement:


Ling Tosite Sigure qui un peu comme Boris est très éclectique et assez inclassable:


Plastic Girl in The Closet qui surfe aujourd'hui  sur l'héritage twee et propret du mouvement:


The Novembers, groupe d’esthètes qui s'assument aujourd'hui et sont présents dans le monde la mode japonais:


Ou Mass of The Fermenting Dregs qui est un groupe fondé sur des figures féminines (qui sont très présentes dans le genre au Japon):



Il en existe encore tant le mouvement a déchaîné les passions, néanmoins très peu sortent de l'underground ou survivent dans le système japonais. La persistance du mouvement au Japon est telle qu'en 2013 sort le Yellow Loveless qui annonce le revival du genre qui n'a jamais vraiment disparu dans contrées nippones. Le concept est simple, des groupes étendards de la scène shoegaze japonaise reprennent des chansons de l'album éponyme de 1991 pour accompagner la sortie du dernier album de My Bloody Valentine ( des groupes comme Boris ou le groupe féminin de grunge Shonen Knife) .



Couverture de l'album, Yellow Lovelesse (2013)// Couverture de l'album Loveless (1991)

Bien plus qu'un simple hommage, le Japon se place comme une terre de shoegaze sur la carte de la musique mondiale voire le dernier bastion du genre. Dès lors, le revival shoegaze (qui n'est pas le seul revival qui touche la musique alternative japonaise des années 2010) prend de l'ampleur. Bien sur ce n'est plus la même énergie qu'il y a 20 ans, le genre a évolué à travers les ajouts des groupes divers et des mouvements esthétiques qui ont marqué le début de siècle. Il reste quand même dans ces groupes une base commune, une volonté de se perdre dans les sons et les rythmes, dans une poésie abstraite ou les mots résonnent autant que les distorsions. Meme si le revival bat toujours son plein depuis 2012, quelques groupes se sont démarqués.

Heavenstamp qui est influencé par le rock anglais contemporain en général aussi bien le shoegaze que par The Libertines ou la Britpop des 90s par exemple [d'ailleurs pas mal de groupes que j'ai cité enregistrent en Angleterre/Europe ou fréquentent des producteurs anglais/occidentaux] :


Itsue avec la voix envoûtante de sa chanteuse Mizuki, qui travaille un geste romantique un peu comme des Naomi Kawase du shoegaze:


Haruka To Miyuki qui comme son nom l'indique est constitué de deux jeunes femmes, Haruka et Miyuki. Elles explorent des sonorités plus pop à travers des récits de mélancolie et de solitude urbaine:


Et puis il y a mes favoris, Kinoko Teikoku. Le groupe se perd et se retrouve à travers des sons qui sont ouvertement pop et d'autres très rigoureux et mystérieux.


Il existe facilement une vingtaine de groupes qui sont aussi intéressants voire plus. Et même une frange de la musique indé/alternative japonaise inclassable qui sait autant faire de la pop "easy-listening" qu'une musique beaucoup plus complexe (dont du shoegaze des fois), comme Shinsei Kamattechan, 0.8 syooogeki,   RADWIMPS ou Galileo Galilei. Meme si j'ai beaucoup écouté ces groupes, ils n'ont pas vraiment ponctué mon voyage dans le shoegaze japonais et ils sont bien trop éparpillés. Il existe également un mouvement de groupes de filles comme SHISHAMO, Tricot ou récemment Comezik, voire Wakusei Abnormal qui s'étalent sur différents genres ou empruntent des sonorités ici et là, selon les chansons et les albums. Il y a toujours cette mutation dans la musique "pop" japonaise qui va jusqu'à affecter des mouvements aussi installés que le shoegaze. C'est ce type d'incident que mon voyage dans la musique nippone me pousse à chercher, le shoegaze n'étant qu'une voie d'accès parmi des dizaines. Et pour en finir sur le mouvement, le shoegaze au Japon, c'est un peu comme une brise de fin d'été qui revient avec plus ou moins d'intensité, plus ou moins de fraîcheur, mais c'est toujours bon de la retrouver.


mardi 7 mars 2017

I-dolls Part II: Les reines excentriques de la pop nippone.

La culture pop japonaise regorge de figures féminines mythiques que ce soit dans le cinéma, le manga, et bien sur, la musique. Cette dernière est également touchée par la transversalité des univers et esthétiques nippons qui passent d'un art à l'autre, d'un médium à l'autre. Il existe donc des figures de la musique pop japonaise qui sont à la croisée des influences des mouvements aussi bien de leur temps que d'une sorte de tradition excentrique.

Dans mon voyage, la plus vieille incarnation de la reine excentrique et celle qui a le plus influencé la pop nippone, c'est Jun Togawa. Depuis la fin des années 70, elle secoue la pop à travers ses différents groupes, collaborations et albums. Elle revendique des influences occidentales aussi bien qu'une culture pop (voire Otaku) des différentes décennies qu'elle a traversé. En Occident, ce serait un mélange entre Kate Bush, Debbie Harry et Siouxsie Sioux. Dans les différents groupes dont elle a fait partie, les deux plus célèbres sont Yapoos et GUERNICA. Jun Togawa fait le pont entre la pop, la musique expérimentale et électronique (notamment avec Yoshihide Otomo ou Susumu Hirasawa) , le rock et même le disco. C'est une touche à tout, une figure de l'underground nippon qui n'a pas de frontières. Jun Togawa à l'image des héroïnes de manga ou de cinéma a embrassé l'esthétique des époques qu'elle a traversé toujours de manière pertinente et décalée.

Son classique Virgin Blues:



Chanson énigmatique sur la perte de la virginité à travers des symboles qui rendent le tout assez fascinant, elle joue sur l'évocation du sang comme un liquide (l'alcool), une couleur (celle du drapeau), un bruit (celui des pas des militaires...). Jun Togawa s'affirme dans un mouvement punk, donc dans une moindre mesure, critique voire politique.

Dans Barbara Sexeroid (avec le groupe Yapoos), elle imagine la vie mélancolique d'un androïde qui serait destiné au sexe. Blade Runner qui sort un an avant la sortie de la chanson (1983 pour le premier album de Yapoos) est clairement l'influence, le mot "replicant" est d'ailleurs présent.

Jun Togawa c'est ça:


1984







1989

et aussi ça:

Jun Togawa et Nobuyoshi Araki


. Dans la periode 80s/90s, il y a également Akina Nakamori. Contrairement à Jun Togawa, c'est une véritable Idol dans les règles de l'art, elle chante pour les fêtes et événements, elle est la fille des plateaux télé et des reprises, des chansons de films ou d'anime. Son physique et sa voix grave font qu'elle peut passer de jeune femme modèle à femme fatale en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Ces deux éléments expliquent aussi sont succès à l'internationale. Elle a aussi joué avec les modes et les styles des époques, jusqu'à aujourd'hui. 
Shojo A est son second single, celui qui la révéla en Asie, et qui l'accompagne toujours. Une chanson simple qui raconte le trouble d'une jeune fille de 17 ans qu'on ne remarque pas, une fille anonyme, Shojo A. Nakamori fait le reste.

Puis la jeune fille qui n'est plus anonyme, laisse place à une femme qui chante sa passion brulante:

Elle pousse le jeu avec sa plastique et sa féminité exacerbée jusqu'à en épouser une certaine excentricité en vieillissant:

Akina Nakamori était aussi une figure de la jeune femme japonaise moderne dont le style et la plastique ont inspiré les mangaka de l'époque (notamment Izumi Matsumoto).







A la fin des années 90, des nouvelles reines excentriques prennent la relève. Elles s'opposent dans leur style mais sont en fait une vision complémentaire de ce nouveau millénaire. La première est la désillusion, la mélancolie, l'énergie chaotique, j'ai nommé Shiina Ringo. La seconde est électrique, futuriste, pop et harmonieuse, j'ai nommé Utada Hikaru.

Shiina Ringo n'a pas vraiment d'équivalent dans la période en Occident (quand j'y pense...), on pourrait néanmoins l'associer à une sorte de figure rock entre PJ Harvey et Courtney Love, à ses débuts. Shiina Ringo est un personnage qui semble avoir digéré le Japon que décrit Ryu Murakami et une culture rock occidentale, elle est cet espèce d'ange déchu (elle a même subi une opération dans sa jeunesse à cause d'une malformation qui lui ont laissé des cicatrices semblables à des ailes dans le dos...) qui vient révéler les travers et la tristesse de la modernité japonaise à travers une écriture intime. La jeune femme ne semble parler que d'elle, mais c'est tout une génération qu'elle dépeint depuis sa ville de Fukuoka. A l'instar du groupe dont elle est fan absolue, Number Girl, Shiina Ringo explore sans filtre les désillusions de la fin du siècle et surtout accompagne le chaos du prochain.
Alors âgée d'à peine  19 ans, la jeune femme déclare son amour pour le quartier des plaisirs et s'auto-proclame reine de Kabukicho dans son premier album Muzai Moratorium. Elle devient instantanément la nouvelle reine excentrique de la pop:

Elle persiste et signe l’année suivante (2000) avec son album Shouso Strip  qui est l'album étendard de son univers et son esthétique. On passe de la  jeune fille fleur bleue à la femme désabusée. A l'image de la chanson Tsumi To Batsu (Crime & Châtiment), une ballade entre sexe et solitude.

Comme pour les figures précédentes, Shiina Ringo va aussi marquer la pop culture japonaise par sa plastique et son esthétique inspirées de divers mouvements underground. Elle inspire autant les groupes de rock/métal tel que Maximum The Hormone que les auteurs de Gainax ou bien meme le cinéaste Shunji Iwai. En 2004, elle est également fondatrice d'un groupe jazz, Tokyo Jihen.

Shiina Ringo de 98 à nos jours:



Shiina Ringo par Araki en 98











Utada Hikaru s'adressait à un autre public. Celui qui a la tete dans les étoiles et dont le futur est plein de promesses, ceux qui passent leur temps à regarder des anime et jouer aux jeux vidéo. Utada Hiraku s'affirme donc comme la reine des otaku pop. Si Shiina Ringo était la reine de Kabukicho, Utada Hikaru serait la reine de Akihabara. Mais comme je l'ai dit précédemment , les deux figures se complètement et brassent l'ensemble de la jeunesse japonaise dans leur mouvement. Les jeunes désabusés, et les jeunes rêveurs. Utada Hikaru ou Hikki pour les fans, débute en 98 comme Shiina Ringo. Alors que cette dernière dépeint le blues du nouveau millénaire avec des guitares stridentes et une écriture à la Murakami, Hikki propose du R&B langoureux (en même temps, Hikki est une "fille de", contrairement à Shiina Ringo, elle n'a pas à s'imposer ni rien à prouver). Le ton est donné, on se sent bien chez Hikki, on cherche du réconfort. Son premier album solo est l'album le plus vendu de tout les temps au Japon, First Love. Mais l'image mythique et excentrique de Hikki vient avec la rencontre de Kazuaki Kiriya (oui, le réalisateur derrière Casshern ou Goemon qui a fait de l'expérimentation numérique sa marque de fabrique) qui fut son compagnon. Il façonne l'image futuriste et onirique que Utada Hikaru porte jusqu'à aujourd'hui auprès du grand public à travers des clips expérimentaux.
On peut noter le légendaire Hikari que Chantal Akerman devait apprécier. Hikki fait simplement la vaisselle en chantant pendant 4min:

ou le clip mutant Passion, Kazuaki Kiriya passe de l'animation aux CGI puis à des décors en dur, l'univers de Hikki est virtuelle, virtualité ou se réfugie ses fans dans un monde beaucoup trop sombre pour eux:

C'est justement sa présence virtuelle dans le jeu vidéo Kingdom Hearts (création de Tetsuya Nomura, oui encore lui !), jeu ou les univers de Final Fantasy se mêlent à ceux de Disney, que Hikki touchera le cœur d'une génération au-delà des frontières nippones. Elle signe la chanson qui introduit la première cinématique du jeu, aussi bien dans l'épisode 1 (Simple & Clean) que dans l'épisode 2. Je préfère l'épisode 2:

Utada Hikaru s'impose ainsi dans la pop culture mondiale. Son monde futuriste excentrique nourrit l'imaginaire d'une génération qui refuse la noirceur du réel, alors que les fans de Shiina Ringo l'explorent. Aujourd’hui  l'influence de Utada Hikaru se ressent chez les nouvelles idol comme Ayami Muto ou Eir Aoi. Bien sur, il y en avait d'autres comme Ayumi Hamasaki ou Tomoko Kawase. Mais les deux reines excentriques qui ont marqué les années 2000 sont bien ces deux femmes. Elles vont même jusqu'à finalement se compléter dans le dernier album de Utada Hikaru, avec un clip ou elles se confondent;

Utada Hikaru & Shiina Ringo

Dans la même période je me suis intéressé à une autre Idol dont l'existence est minuscule à l'aune des deux figures précédentes. Mais elle est d'autant plus fascinante car elle annonçait en quelque  sorte les mini-Idol/bloggueuses dont seuls les otaku hardcore connaissent  l'existence en écumant les salles de Akihabara, cette femme c'est Haruko Momoi. Halko est une seiyu (une doubleuse dans les anime) et une chanteuse, mais son existence sur la scène nippone consiste à 60% à reprendre des chansons d'anime, un peu comme Shokotan aujourd'hui (Shoko Nakagawa). Elle est le symptôme de l'idolisation insidieuse qui frappera le Japon avec l'arrivée de AKB48. C'est d'ailleurs une de ses chansons qui est la chanson "hantée" de Suicide Club de Sono Sion, Mail Me.

Chose étrange, Halko semblait deja trop agée à l'époque pour camper ce genre de personnage et pourtant, elle s'affiche en cosplay en tout genre dans des concerts et des expos durant les années 2000, comme si elle vivait en dehors du monde. Halko vit le fantasme de ses fans. C'est une éternelle seifuku girl, une éternelle magical girl, une éternelle héroïne des anime dont elle est la voix. Elle préfigure les idol des années 2010 qui sont partout, car elles se sont greffées dans l'imaginaire de leur fan. Il y a quand même quelque chose de très mélancolique chez Haruko Momoi.

Les années 2010 se construisent dans l'exagération, et la transcendance des figures des années 2000. Pour ma part, il y a 3 ou 4 figures. Ma préféré est celle de  Seiko Oomori. La jeune femme a su se distinguer par ses textes crues dans une ambiance pop et kawaii. Elles parlent de sexe, de désir, du regard des hommes et de l'aliénation,la pression du système (machiste) japonais. Elle dénonce la condition féminine au Japon sur un ton sucré et joyeux. C'est la descendante directe de Shiina Ringo, elle est seule avec sa guitare. C'est elle contre le monde. C'est son monde. Elle déverse une énergie punk dans un univers rose bonbon. Toute sa discographie suit ce mouvement, entre folk satirique et rock cathartique. Un peu comme BiS.
La chanson Magic Mirror (de son avant dernier album TOKYO BLACK HOLE) est un très bon exemple de l'esprit Oomoriesque et le clip également:

Le refrain serait un manifeste de sa démarche artistique:
"Mon rêve est de rassembler tous les morceaux d'une vie déchirée et maladroite que vous avez jeté, et d'en faire un miroir géant. Ensuite je vous montrerai, le monde merveilleux que vous avez crée."

Cette douce subversion est présente dès ses débuts:

Comme beaucoup d'artistes de sa génération, Seiko Oomori n'en reste pas à la musique. Elle fait des live comme des performances ou des happenings dans les rues de Tokyo. Elle construit ses décors, et des œuvres plastiques. Elle est également au cœur de la scène underground tokyoïte avec des collaborations et des featuring de tous les cotés. Elle est également à l'origine d'un film qui est constitué de ses clips, Wonderful World End.


La couverture de l'album Shouso Strip de Shiina Ringo (2000) // La couverture de l'album Mahou ga tsukaenai nara shinitai de Seiko Oomori (2013)

Dans un mouvement beaucoup plus noise, beaucoup plus brut et proche de Jun Togawa, il y a Mariko Goto. C'est une boule d'énergie pure qui diffuse le chaos dans un geste jubilatoire et jazz. Chanteuse du groupe Midori, la jeune femme se fait un nom dans la scène underground par son jusqu’au-boutisme qui résulte autant d'une expression artistique sincère que des problèmes mentaux qu'elle subit. C'est une figure incontrôlable, entre la sueur et le sang.


Elle quitte le groupe Midori pour des raisons que la raison ignore et se lance une carrière solo. Insaisissable, elle s'adonne aussi à jouer chez un cinéaste qui l'est tout autant Hiroshi Ishikawa, en campant son propre personnage dans l'excellent Petal Dance.


Mariko Goto dans Petal Dance

Mariko Goto est une force.

Une force en péril.

Elle a un peu disparu de la circulation, les fans s'inquiètent. Personne ne sait ou est Mariko Goto. Personne ne sait ce qu'est Mariko Goto. Malheureusement.


Mariko Goto & Seiko Oomori

Bien sur l'une des figures est l'inénarrable Kyary Pamyu Pamyu. Son univers faussement kawaii et sa plongée dans l’aliénation d'une génération donne le vertige. Néanmoins, la jeune femme oscille entre l'idol parfaite et un espèce de monstre mystérieux qui fascine au point que les médias nippons se demandent si son tour de poitrine ne serait pas le même que celui de la gravure Idol (modèle érotique) Dan Mitsu. Kyary est un peu l'expression des paradoxes de son temps. Figure fashion qui se moque de la mode, poupée virginale qui ne cesse de jouer avec les symboles dans ses apparitions. Mais elle laisse doucement la place au nouveau phénomène, celui de Kuromiya Rei. La jeune fille d'à peine 16 ans a déjà une carrière de modèle dans un type de photographie qui est totalement interdit dans nos contrés pour les mineures...Elle a quand même su jouer de cette image pour commencer une nouvelle carrière dans la musique avec le soutien de URBANGARDE, ou encore de Seiko Oomori, tout en continuant l'OVNI qu'est LadyBaby. Comme les femmes qui l'ont précédé, elle s'empare de cette hargne propre aux femmes japonaises (surtout qu'elle a subi les affres de cette société très jeune...) pour l'infuser dans sa musique et son imagerie. Il en résulte une énergie punk qui semble autant exprimer un désespoir contemporain que la perte de repères à l'aune d'une virtualité omniprésente.

Bref, de Jun Togawa à Kuromiya Rei, les reines excentriques de la J-pop continuent de se passer le flambeau, avec brio. En 40 ans, elles ont façonné la pop culture japonaise,mondiale,avec le succès grandissant de nouvelles figures et la mythification des anciennes, les reines excentriques ont encore de beaux jours devant elles.


Cependant, les femmes excentriques, les idols ne sont pas exclusives au Japon. Un pays voisin à aussi inonder la pop culture asiatique de ses figures, et domine aujourd'hui la pop mondiale. Bientôt la partie III, au pays du matin calme.